La Gambille rencontre: Cédrine Kerbaol
Entretien avec Cédrine novembre 2020
Propos recueillis par Claire Legrand
Bio express
15 mai 2001 naissance à Brest
2015 commence le vélo au club de St Renan Iroise Vélo
2018 commence à s’intéresser aux écogestes
Août 2019 Championne de France sur Route
1er janvier 2021 entre dans l’équipe professionnelle Arkéa
Bonjour Cédrine, comment se passe la vie d’une cycliste de haut niveau en temps de confinement ?
Je ressens parfois de la solitude mais je reprends bientôt le vélo et j’ai hâte. En temps normal, l’entrainement varie entre 10h et au maximum 25h par semaine. En plus du vélo, il y a la musculation, les étirements, le yoga... J’ajoute la méditation pour me détendre et comme préparation mentale, qui est une grande partie de la performance. Quand je médite, j’essaye de déconnecter vraiment et de me connecter avec mes objectifs profonds.
En ce moment, je me suis installé une salle d’entrainement chez moi. J’ai déplacé mon lit pour pouvoir installer un sac de boxe et une machine, pour faire les squats. C’est assez marrant, je n’ai plus de table, alors je mange par terre sur mon tapis ! S’entrainer toute seule, c’est parfois compliqué mais quand on a la motivation, l’objectif de progresser et d’aller le plus loin possible, c’est plus facile. Je verrai où le vent me mènera !
Parallèlement, tu poursuis un BTS en diététique, pourquoi ce choix ?
La diététique est une passion depuis longtemps, mais je m’intéresse aussi à la cuisine et au domaine médical. Je trouvais que c’était cohérent avec le vélo, c’est pour ça que j’ai choisi cette formation. J’ai la chance de pouvoir faire mon BTS en 3 ans au lieu de 2 ; cela me permet de concilier mes études avec le vélo. Il y a beaucoup de choses qui me servent, à l’entrainement ou pendant l’effort. Par exemple, la question du poids est importante dans le sport de haut niveau et dans le vélo en particulier. Il y a aussi un rapport poids/puissance ; 1 kg en plus ou en moins, ça peut faire la différence sur une course. En fonction des objectifs, je fais vraiment attention pendant 2 ou 3 semaines.
Et il y a aussi l’aspect qualitatif. Les sportives sont souvent touchées par des carences en fer. Alors je choisis des produits avec beaucoup de fer comme les abats, le boudin, certains légumes aussi, les légumineuses. De manière constante, je m’applique à bien manger mais en me faisant plaisir, une part de légumes, une part de féculents, une part de protéines. J’aime beaucoup tout ce qui concerne la nutrition.
Le sport de haut niveau est-il un engagement contraignant pour une jeune femme ?
Mes parents viennent du milieu sportif aussi, ils ont fait pas mal de course à pied. Le sport faisait partie de la vie familiale mais le haut niveau, c’est moi qui l’ai choisi. A un moment ils m’ont dit « tu veux faire quoi ? Tu veux vivre une vie de jeune ou t’épanouir dans autre chose ? ». J’ai fait le choix du haut niveau depuis cinq ans.
Je n’ai pas la même vie que les étudiants de mon âge mais c’est un choix de vie et je ne le regrette pas. Ce sont des concessions et je sais pourquoi je les fais, même si ce n’est pas toujours simple. Pour ma formation, je ne suis dans ma classe que la moitié du temps. Cette année, je suis même dans deux classes différentes et je vois deux fois moins les autres étudiants. Donc on se connait peu et on ne peut pas créer les mêmes relations d’amitié. Mais le vélo m’a permis de faire beaucoup de rencontres et de vrais amis.
Et qu’en est-il du vélo féminin ?
Du sport féminin en général… Il y a beaucoup d’inégalités entre hommes et femmes. Dans le vélo, c’est encore pire. Il y a un gouffre entre le cyclisme professionnel masculin et féminin, même dans le cyclisme amateur. Il y a des inégalités salariales, mais pas seulement.
Je viens de m’engager avec l’AFCC (association française de coureures cyclistes) qui défend les valeurs du cyclisme féminin et démontre que les femmes y ont toute leur place. Elle se bat pour acquérir plus de droits parce qu’il y a vraiment beaucoup d’inégalités qui règnent dans ce sport.
Ce qui est injuste, c’est que les femmes s’entrainent autant, souffrent autant, mais ne sont pas perçues de la même manière que les hommes. Dans les media non plus. Les courses féminines diffusées à la télévision sont encore rares. J’espère que cela va se développer. Il y a moins d’équipes donc, forcément, il y a moins de filles qui se sentent capables d’envisager le haut niveau et donc moins qui commencent le vélo. On dit « c’est un sport de garçon » mais c’est un cercle vicieux.
Comment beaucoup de personnes de ta génération, tu es concernée par les questions environnementales et tu sensibilises autour de toi. Tu avais prévu d’organiser une collecte de vêtements pendant la course Breizh Ladies Tour* qui a été annulée.
Les questions environnementales sont malheureusement partagées. Les personnes de ma génération qui sont concernées le sont beaucoup mais cela reste très divisé. Au quotidien, parler avec mes amis et ma famille me permet de les sensibiliser, cela a un réel impact. Cela nous fait réfléchir à l’avenir, car on est vraiment dans la surconsommation partout.
Dans le cyclisme, le projet de la collecte a été très bien reçu et la première réaction a été très favorable. Ce monde, c’est notre monde. On en a qu’un et on en aura qu’un. Tout de suite, j’ai reçu beaucoup de soutien de la part des autres coureuses ou des organisateurs. J’espère que nous recommencerons l’année prochaine.
Les choses sont en train d’évoluer. Pendant le Tour de France, l’ancien coureur cycliste Jérémy Roy a sensibilisé le milieu cycliste à la question du développement durable. Il a créé des zones vertes où les coureurs jettent leurs déchets pour qu’ils soient ensuite ramassés. Et si les coureurs jettent en dehors de ces zones, ils sont sanctionnés. Les coureurs jettent pour une question de poids, et cherchent à se délester au fur et à mesure car quand ils mettent les gels énergétiques dans les maillots, ça colle et c’est très désagréable. Mais chacun trouve ses petites stratégies. Je les mets dans une poche avant d’aller les donner après à la voiture suiveuse qui les récupère.
La Biocoop la Gambille soutient ton passage dans la vie de sportive de haut niveau. Que t’apporte ce partenariat ?
L’alimentation biologique est très importante. Pour la santé, car les produits ne sont pas traités. C’est une histoire de valeur aussi. J’espère que cela va m’apprendre beaucoup de choses et j’espère que je vais vous apprendre des choses aussi. J’adore ça, il y a plein de projets ! J’ai hâte de poursuivre l’aventure.
*la course Breizh Ladies Tour Ceratizit initialement prévue en juin avait été reportée du 28 octobre-1er novembre 2020.
Elle a été à nouveau annulée en raison des mesures sanitaires.